Une fois n’est pas coutume, Mobiprox donne cette fois la parole à un pro, Quentin Morette, l’un des trois cofondateurs de Two Roule. Cette jeune société s’est spécialisée dans la prévention et la formation à la conduite d’une trottinette électrique.
Mobiprox : Alors Quentin, la trottinette électrique, comment es-tu tombée dedans ?
Quentin Morette : Tout simplement en devenant utilisateur. C’était en 2019 au moment où je découvre cette formidable innovation. J’étais à l’époque étudiant en région parisienne, et résidait relativement loin de mon école. J’ai tout de suite réalisé l’intérêt de pratiquer l’intermodalité en utilisant le RER B et en finissant en trottinette, c’était pour moi un gain de 25% du temps de trajet.
MB : 2019 c’était hier, et c’est pourtant l’année de création de Two Roule…
QM : Dès mes premiers déplacements, j’ai ressenti la difficulté de se faire comprendre des autres usagers de la route et me suis demandé comment avoir une attitude sécuritaire pour éviter les confrontations et les éventuels accidents. En me servant de ce que j’avais appris au passage du permis de conduire, je me suis rendu compte que de petits gestes suffisaient. Par exemple, pour changer de direction, m’est venue l’idée d’utiliser le pied, pratique beaucoup moins dangereuse que la main. En fait, j’ai surtout réalisé qu’il n’existait pas de formation ni de sensibilisation pour apprendre les bons gestes.
MB : D’où l’idée, déjà, de créer Two Roule ?
QM : Exactement. Action/réaction, la prise de conscience a été immédiate : ça a fait tilt. D’un côté, j’avais déjà un pied dans l’événementiel de par ma formation et les différents emplois que j’avais occupés, de l’autre j’ai toujours été passionné par les techniques d’apprentissage des compétences. Mais on ne naît pas expert, on le devient. C’est en discutant, en approfondissant avec mes amis étudiants et futurs associés qu’on s’est dit : il y a quelque chose à faire, il y a trop de comportements déviants. De même, comme j’en ai fait l’expérience, pourquoi la trottinette ne pourrait-elle pas devenir une alternative pour tous ceux qui prennent la voiture alors qu’ils n’en ont pas forcément besoin ? Cela permettrait de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
MB : Mais pourquoi avoir créé une entreprise et non une simple association ?
QM : En faisant le choix d’une association, nous nous disions : “on va s’investir mais sans pouvoir le faire à plein-temps“, car nous n’imaginions pas qu’on puisse être salarié d’une association ! D’où la décision de créer une entreprise dès juillet 2019, avec la volonté de pouvoir en vivre afin de promouvoir à temps complet écologie et les règles de sécurité de la trottinette. Two Roule est ainsi perçue comme une auto-école des mobilités douces, qui s’adresse aux entreprises et aux collectivités afin de diffuser ces messages. Nous sommes trois cofondateurs mais quatre associés, tous amis d’enfance.
MB : Ça se passe bien entre vous, tout roule ?
QM : Ça se passe très bien car notre système de management est basé sur le respect des autres, la bienveillance, la compétence de chacun. On a des règles simples de communication entre nous avec une vraie limite entre le caractère pro et perso. Chacun a des fonctions différentes. Je m’occupe du lancement de nouveaux produits, la partie administrative, je suis responsable du centre de formation et à l’initiative du système de montée en compétence et référent en Lean Management, notre système de croissance en interne. Un autre cofondateur est responsable marketing/communication et commercial, et le troisième est responsable de la partie opérationnelle et de la gestion financière.
MB : Vous parvenez à en vivre ?
QM : Au bout de deux ans, nous avons pu commencer à nous rémunérer un peu, ayant toujours préféré sécuriser d’abord les autres, ceux qui nous aidaient, en les rétribuant. Nous nous disions qu’on se payerait plus tard s’il resterait un peu d’argent. Et ce sera le cas pour 2021.
MB : Qu’est-ce qui vous surprend le plus parmi les stagiaires que vous formez ?
QM : Beaucoup de gens ont une perception faussée du danger que représente la trottinette et viennent à reculons, disant “c’est pas fait pour moi, j’ai pas de notions d’équilibre, j’arrive pas bien à vélo“. Alors, on leur dit “venez, essayez“. Nous lançons le challenge ensemble : “on vous donne 10 minutes si ça vous dit“. Derrière, ça créé une vraie émulation par l’accompagnement et la montée en compétence très progressive des personnes. Et ça marche. Pour dire, la personne la plus âgée qu’on ait formée était âgée de 93 ans. Quand on est bien accompagné, tout devient facile.
MB : En tant que pro, vous avez un message à faire passer aux autorités ?
QM : On sent qu’une prise de conscience commence à avoir lieu. Malheureusement, elle se fait la plupart du temps après la survenue d’un drame. Qui engage bien plus souvent les utilisateurs en free-floating que les propriétaires, qui respectent beaucoup plus les règles et font attention à la machine qui leur appartient. Je le dénonce : ils sont victimes de cet amalgame. Sinon, il reste encore beaucoup de choses à améliorer, en particulier tout ce qui peut contribuer à faciliter l’utilisation des mobilités douces : les pistes cyclables, bien sûr, mais aussi les voies vertes hors agglomérations compte tenu des interdictions de circuler des EDPM sur les routes à plus de 50 km/h.
MB : Et aux utilisateurs ?
QM : La trottinette reste trop assimilée à un jouet, image qu’on cherche à détruire. Le problème, c’est qu’on est encore sur un marché où le prix moyen reste très faible. Alors, on se dit “pourquoi y mettre 1.000€ alors qu’on peut en avoir une à 300€ ?“ Mais évidemment, s’il existe une telle différence de tarif, c’est parce qu’il y a une grosse différence de qualité tant en termes de composants que de prestations. Autre message, sur un plan écologique, se dire “qu’est-ce que je peux faire pour diminuer mes émissions de gaz à effet de serre“ ? J’ai un conseil : mieux vaut 1% d’amélioration chaque jour plutôt que viser 100% à la fin de l’année. Il y a 365 jours par an : si chaque jour on essaie de s’améliorer de 1%, au bout de l’année ça peut faire plus de 300% de progrès. Exemple : si on commence par éviter un trajet domicile-travail en voiture par semaine, ça en fait 52 de moins dans l’année. L’important, c’est l’amélioration quotidienne. C’est comme ça qu’on parviendra à préserver l’héritage de nos enfants.
Article rédigé par Pascal Pennec